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Festival de Marseille

Questions à Rabih Mroué

Rabih Mroué, vous travaillez à la croisée de la performance, des arts visuels et du théâtre - et vous travaillez maintenant avec six danseurs. Qu’est ce qui vous a intéressé, dans ce travail avec des danseurs ?
Rabih Mroué : Je viens du milieu théâtral, et, comme la plupart des comédiens et des metteurs en scène, je m’intéresse au corps de l’acteur, j’essaye de le penser de manière à articuler un langage corporel théâtral. Au début de ma carrière, j’étais fasciné par le théâtre physique et j’ai même présenté quelques pièces qui étaient principalement physiques, mais au bout d’un moment j’ai interrompu cette démarche pour re-questionner le théâtre. Après quelques temps, j’ai commencé à faire des œuvres théâtrales où le corps est absent, où l’on parle du corps mais où on ne le voit jamais. Avec les mots, on peut imaginer le corps. En d’autres termes, la présence du corps est permise par son absence. Je n’avais jamais vraiment envisagé de travailler avec des danseurs, mais je n’ai pas hésité une seconde lorsqu’on me l’a proposé. Je me suis dit que cela serait une expérience intéressante pour moi en tant que metteur en scène, cela s’accorde bien avec ma conception du théâtre qui devrait, je crois, être ouvert à tout. Pour moi, lorsque je fais des arts visuels, de la vidéo ou des installations, tout est impreigné de mon expérience théâtrale, et de mes questionnements sur cette forme artistique. Donc cette fois je me suis dit, « pourquoi pas la danse », tout en gardant bien à l’esprit que je ne suis pas chorégraphe, et que je ne prétends pas du tout l’être.

Les six danseurs avec lesquels vous travaillez ont plus de 40 ans, et leurs corps sont comme des archives intimes. Vous êtes vous intéressés à ces archives de mouvement ?
Rabih Mroué : Absolument, et les danseurs ont été très généreux, ils m’ont autorisé à accéder à ces archives stockées dans leurs corps et dans leurs cerveaux. Ils m’ont raconté beaucoup d’histoires, montré beaucoup de mouvements et nous avons eu de nombreuses conversations. J’ai appris tellement de choses à leur contact. J’ai pris une grande quantité de ces matériaux archivés, les ai re-travaillé et tenté de les faire coïncider avec les concepts et les idées que j’avais amené avec moi - ce que je fais aussi dans mon travail théâtral. Je travaille habituellement avec des objets, des photos, des vidéos et des matériaux d’archives qui existent déjà. Je ne produis rien de « nouveau ». Que veut dire « nouveau », de toute manière ? Donc tout a émergé de cette collaboration entre les danseurs et moi, à partir de nos expériences et de nos archives personnelles, que cela soit marqué dans les corps ou que cela surgisse des souvenirs ou de la vie de tous les jours. Nous avons même parfois emprunté des danses du répertoire, et les avons re-travaillées dans l’idée de les lire et de les comprendre différemment. Le résultat est une sorte de mélange de tous ces matériaux, un travail collaboratif entre nous tous.

Et les danseurs y sont parvenus ?
Oh, ils sont très, très bons. C’était très agréable, et un vrai plaisir pour moi. Ce sont d’excellents danseurs. Je sens quelque chose de différent avec eux, qui est lié à leur longue expérience de la danse et de la vie, et aussi peut-être lié à leur âge. En fait, j’ai eu l’impression qu’ils n’avaient plus rien à prouver. Ils ont confiance en eux et n’ont plus besoin de démontrer leurs compétences et leur dextérité. Ils sont comme moi, à la recherche de quelque chose d’autre, Pas quelque chose de nouveau mais quelque chose d’autre, une alternative, un nouveau défi. La danse, pour eux, devient la vie elle-même.

Comment avez-vous travaillé en studio ?
Je partage avec eux quelques unes de mes idées, de mes concepts et prises de notes, et on regarde ensemble les possibilités. Parfois je les laisse avancer, ils font des propositions que nous discutons. C’est un processus de partage et cela part dans toutes les directions, sans limites. Ils étaient prêts à tout essayer, et m’ont offert une grande quantité de matériau qui m’ont permis de construire la pièce.

Est-ce ainsi que vous travaillez habituellement ?
Non. Cela dépend du sujet et de la forme. D’une pièce à l’autre, je m’attache à ne pas reproduire une méthodologie de travail. Je pense et crains qu’une méthode définie et fixe créerait une sorte de label pour l’artiste, qui pourrait rapidement devenir une prison. Je crois que ma manière de travailler me défie constamment, et m’évite de tomber dans la routine. C’est ce qui garde mon travail vivant. Je suis intéressé par de nouvelles questions, de nouvelles perspectives, de nouvelles expériences.