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Festival de Marseille

EXTRAIT DE "L'ENTRETIEN ELFRIEDE JELINEK/CHRISTINE LECERF"

“Comme pour la plupart des écrivains femmes, tout est né du sentiment d’être méprisée. Je parle ici du mépris culturel dans lequel on tient les femmes. Notre vie n’est pas en danger, bien sûr, et encore, on pourrait évoquer certaines menaces indirectes… Quoi qu’il en soit, le travail des femmes, en particulier le travail artistique des femmes, est soumis à des critères d’évaluation spécifiquement masculins. Et c’est une forme de violence faite aux femmes (…) Il n’existe aucun critère esthétique du jugement artistique qui soit émis par des femmes. Et rares sont celles qui parviennent à graver leur nom dans l’univers froid des chefs-d’oeuvre masculins. Regardez Ingeborg Bachmann brûlée dans sa chemise de nuit en nylon ! Regardez Sylvia Plath la tête dans la gazinière ! Regardez comment ces femmes ont fini ! J’ai d’ailleurs écrit sur elles une série de « Drames de princesses ». (…)


Tout ce que la femme ne cesse d’endurer, cette façon d’être méprisée, de ne pas être prise en considération, d’être exclue, tout cela se transforme en agression. C’est un procédé fondamental bien connu de la psychologie. Je me suis toujours demandé pourquoi le sang ne giclait pas davantage dans les textes de femmes. Cette agressivité est justement ma façon à moi de m’opposer à ma condition. J’ai moi-même été élevée par une femme qui a voulu faire de moi une princesse. C’est aussi pour cela que j’ai écrit mes Drames de princesses. Cette femme m’a fétichisée, considérée comme un génie capable de tout faire et de tout réussir. Et puis une fois dans la société, la princesse a découvert qu’elle n’était qu’un objet, y compris dans ses relations avec les hommes, et qu’elle devait se faire toute petite. Quand on voit le mépris avec lequel on traite les femmes ! Un mépris qui va jusqu’à l’extinction, la lapidation, le bâillonnement, la mise à mort, l’éradication totale de tout ce qui est féminin ! Il faut une dose folle d’agressivité en soi pour garder la tête hors de l’eau. Et c’est un combat qui vous vide complètement, je vous l’avoue, surtout dans le domaine artistique ou il faut structurer cette agressivité. Car cela ne m’aurait guère intéressée de cracher simplement les choses.”

 

 

 

L’entretien Elfriede Jelinek/Christine Lecerf,
Le Seuil/France Culture, Paris 2007