"Je suis née le 24 juin 1988 et l’injonction qui m’a été faite à la naissance est celle d’être fille et toute ma vie en sera déterminée. Depuis toute petite je suis frappée par ce conditionnement : parce que je suis une fille, la rue, la nuit ne m’appartiennent pas ; la place publique, le champs politique ne m’appartiennent pas ; l’Histoire se fait et continue de s'écrire sans moi. Nous sommes en 2017 et c'est la première fois qu'une femme écrivain est au programme du bac. Pourquoi sommes-nous plus nombreuses à faire des hautes études pour nous retrouver nettement moins nombreuses aux postes de direction ? Pourquoi à travail égal serions-nous moins bien payées qu'un homme ? Pourquoi la violence conjugale est la première cause de mortalité des femmes dans le monde devant le cancer ? Pourquoi le viol, s'il est reconnu depuis peu comme un crime et non comme un délit, est-il quasiment toujours jugé en correctionnelle au milieu des vols de voiture ? Pourquoi le droit à l'avortement est-il toujours remis en question ? … J’ai grandi dans un milieu populaire et je suis très fière de mes origines sociales. J’ai ensuite fait des études de Lettres et une école nationale de théâtre. Ce mélange des cultures, j’aime le mettre au plateau. J’aime que Beyoncé ou Rihanna côtoient Judith Butler et Simone de Beauvoir. J’aime que la Vénus de Botticelli côtoie Nabila, et que l’histoire de l’art en général côtoie YouPorn. Bitches, c’est ce mélange qui me constitue, c’est une réflexion à partir de la culture de masse qui m’entoure et l'élitisme universitaire et artistique dans lequel j’évolue ; ce qui me permet de penser ce que je suis en tant que femme dans un style assez explosif. Bitches est une tentative de réappropriation, une quête d’identité féminine (si elle existe), une tentative pour faire la nique à sa condition.
J'ai voulu m'entourer exclusivement de femmes pour réfléchir, d'amies comédiennes, et je leur ai posé un tas de questions au plateau et en dehors ; j'ai filmé la plupart de ces entretiens, et je leur ai demandé d'improviser autour de leur rapport au corps et à la beauté, de leur rapport à l'Amour et au Prince charmant ou encore autour de la mort et de leur pratique artistique. Ensuite nous nous sommes entourées de textes exclusivement féminins, parfois féministes : Judith Butler, Monique Wittig, Luce Irigaray, Simone de Beauvoir, Virginie Despentes etc... Mais la seule matière textuelle que nous utilisons au plateau c'est l'oeuvre d'Elfriede Jelinek, Drame de Princesses dont le sous-titre en français est « la jeune fille et la mort ». L’humour acerbe, la radicalité et l’intelligence avec lesquels Jelinek nous parle de la condition féminine m’ont instantanément excitée. Parler du destin sombre des femmes de manière la plus jouissive possible, c’est ce qui nous a animées pour créer Bitches"
Hayet Darwich - membre du groupe Crisis - metteuse en scène de Drames de princesses, la jeune fille et la mort [Bitches]