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Questions à Serge Aimé Coulibaly

Nuit blanche à Ouagadougou est un spectacle engagé, une pièce prémonitoire qui raconte une nuit d’insurrection dans la capitale Burkinabé. Quel(s) message(s) voulais-tu faire passer avec ce spectacle ?
En effet, c’est l’événement [NDLR : le soulèvement du peuple Burkinabé] qui a rattrapé le spectacle. En créant Nuit Blanche à Ouagadougou, je voulais parler du désir de liberté, de liberté et d’espoir. Ce sont des désirs fondamentaux, ancrés chez tout être humain quelle que soit son origine. Je me suis inspiré aussi des événements de Tunisie, d’Egypte, et d’Ukraine, ainsi que de la Pieta de Michel Angelo.


Les premières représentations de Nuit blanche à Ouagadougou se sont déroulées avant les évènements d’octobre 2014 ayant provoqué la chute de Blaise Compaoré. Comment a ensuite évolué le spectacle ?
Dans le texte de Smockey, une ou deux phrases ont été modifiées pour correspondre à l’éviction de Compaoré. Sinon, on n’a ni ajouté ni supprimé une phrase. C’est assez hallucinant parce que quand tu regardes le spectacle, tu as du mal à te dire que cela a été créé avant les évènements des 30 et 31 octobre 2014

Les premières représentations de Nuit blanche à Ouagadougou se sont déroulées en Afrique. Ensuite tu as présenté le spectacle en France.
Quelles sont les réactions du public de part et d’autre ?

Tous les spectacles que je crée tournent tant en Afrique qu’en Europe. Je suis un artiste du monde et je souhaite toucher toutes les personnes et les peuples. Mais le contexte historique de Nuit blanche à Ouagadougou a sans doute suscité davantage de curiosité lors des dates de tournée en Europe. Les salles étaient pleines tous les soirs et le public posait beaucoup de questions après les représentations.


Ta nouvelle création Kalakuta Republik s’inspire librement de la musique et de la vie de Fela. Qu’est-ce qui t’attire chez cet artiste ? En quoi nous parle-t-il encore aujourd’hui ?
Chaque morceau de la longue carrière de Fela Kuti évoque une partie de l’histoire du Nigéria, de l’histoire de l’Afrique. Il est toujours dans le feu de l’action, de l’actualité. Sa musique est engagée mais néanmoins festive. Il y a quelque chose d’agréable, quelque chose qu’on a envie de partager. Et ce partage, c’est celui d’une conscience aussi.

Fela a été arrêté plus d’une centaine fois. Il a été en prison, mais à chaque fois qu’il en est sorti, il a continué à dénoncer la malhonnêteté, la corruption de son gouvernement, tout ce qui n’est pas juste dans le monde dans lequel il vit. Pour moi, c’est l’exemple même de l’artiste qui a un rôle social important à jouer, de l’artiste qui est en phase avec sa société et qui la fait avancer.

Dans les pays où tout est à créer, comme aujourd’hui en Afrique, on ne peut pas laisser l’action et les décisions aux mains des seuls politiciens, vu la manière dont ils s’en chargent. Il faut donc que tout le monde s’engage d’une manière ou d’une autre, artistes compris.

En tant qu’artiste, je me pose la question suivante : en quoi je fais avancer la société dans laquelle je vis ? Avec quoi ? Quel type de création je fais pour cela ? L’artiste doit travailler à s’ancrer dans sa réalité sociale et politique, doit concrètement prendre part au développement du continent… tout en n’oubliant pas son objectif premier qui est l’art, la beauté.


Les deux spectacles se font-ils écho ? On a l’impression qu’ils s’intéressent tous les deux au politique au sens large, à la corruption, à la place de la femme, la place de l’artiste : Fela hier au Nigeria, Smockey aujourd’hui dans la société (balai citoyen) et sur scène au Burkina.
Oui bien sûr.

Dans la première partie de Kalakuta Republik, je pars de moi et laisse jouer ma fantaisie par rapport à ce que la vie et la musique de Fela m’apportent, l’inspiration qu’elles me donnent et mon regard par rapport au monde aujourd’hui. C’est vraiment quelque chose de très personnel, un flux ininterrompu d’images fortes.

La deuxième partie évoque plus directement l’univers de Fela. Le décor se rapproche de l’endroit où Fela jouait avec son groupe, le Shrine et qui était aussi pour lui un lieu de communication avec les dieux. On essaye aussi dans cette deuxième partie, d’inviter à chaque fois un artiste d’aujourd’hui localement et socialement engagé que ce soit en Belgique, n’importe où, afin d’interroger sa pratique. Il y aura de la musique, de la danse. On sera dans un moment de partage et de réflexion, un moment de convivialité aussi. Cette réflexion et cet engagement étaient bien sûr déjà présent dans Nuit Blanche. Smockey, le rappeur Burkinabé qui a écrit les textes et la musique du spectacle, était sur le plateau mais également dans la rue et dans l’espace public avec le balai citoyen : il a été un acteur clé du renversement du Pouvoir en octobre 2014.

Pour en revenir au politique et à la place de l’artiste : Thomas Sankara disait qu’ « aucune écriture n’est innocente », qu’ « il est nécessaire, il est urgent que nos cadres et nos travailleurs de la plume apprennent qu’il n’y a pas d’écriture innocente. En ces temps de tempêtes, nous ne pouvons laisser à nos seuls ennemis d’hier et d’aujourd’hui le monopole de la pensée, de l’imagination et de la créativité. » La voix de Sankara comme celle de Fela Kuti résonnent-elles encore aujourd’hui ?
Plus que jamais, plus que jamais !

Pour l’anecdote, Thomas Sankara et Fela Kuti se sont rencontrés dans les années 1980 et étaient amis. Après l’assassinat de Thomas Sanka, Fela lui a en quelque sorte fait un hommage en lui consacrant un morceau : US – Underground System.
Aujourd’hui, il y a un engouement incroyable pour Thomas Sankara. Les gens sont en train de (re)découvrir ses discours. C’est quelqu’un qui était vraiment en avance sur sa société. Et les paroles de Sankara comme de Fela résonnent encore aujourd’hui, comme si ça avait été écrit ou dit maintenant.

De mon côté, à mon humble niveau, j’ai déjà fait deux spectacles sur Sankara. En 2007, vingt ans après son assassinat, j’ai tout d’abord créé Solitude d’un homme intègre. Puis il y a eu Babemba, un spectacle dans lequel je m’inspirais, entre autres, de Thomas Sankara, Patrice Lubumba et Nelson Mandela.

Donc oui, les paroles de Sankara résonnent plus que jamais aujourd’hui avec ma danse et mes création.

Tu mêles danse, musique et théâtre dans ces deux spectacles. Penses-tu à d’autres formes d’expressions artistiques pour faire passer ton message dans le futur ? Pourquoi ?
Pour moi, l’art en général, toute expression artistique, est un moyen, une manière de dire quelque chose. De partager une émotion ou une réflexion. Je n’ai aucun souci à utiliser un panneau, un bout de bois, une oeuvre plastique pour dire quelque chose si cela me permet d’exprimer et de préciser mon idée et de la partager de la  meilleure façon avec le public.

La danse, la musique, le théâtre, l’art plastique ou la vidéo ne sont que des vecteurs pour faire passer une réflexion, une vision. Donc j’utilise tout ce qui peut m’aider à aller au plus proche de mon idée. Souvent, je dis aux gens que même si je suis danseur et chorégraphe, la danse vient en deuxième position dans mon travail. C’est ce que j’ai à dire qui est le plus important.

 

Propos recueillis par Les Halles de Schaerbeek