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Festival de Marseille

Entretien avec Marcos Morau


Sonoma fait suite au Surréalisme au service de la Révolution, une courte pièce inspirée par le cinéaste Luis Buñuel, créée en 2016 pour le Ballet de Lorraine. Pourquoi avez-vous eu envie de vous immerger à nouveau dans cet univers ?


Luis Buñuel est une référence pour de nombreux créateurs d’images en Espagne. Y revenir, c’est revenir à l’histoire du cinéma espagnol et revisiter la tradition avec une perspective actuelle. Je ressens un lien très fort avec le cinéaste aragonais. Tous deux avons reçu une éducation catholique dans des écoles de provinces espagnoles réservées aux garçons. Quand il a eu l’âge de partir en ville, il est allé à Madrid, moi je suis allé à Valence puis à Barcelone. Lui comme moi étions amoureux des coutumes et des traditions sur lesquelles nous avions toujours un œil tandis que l’autre, observant le changement et le progrès, regardait vers l’avenir. Sonoma souhaitait se tourner dans cette direction, mais de façon plus élargie. Il s’agissait de réfléchir à la façon dont Buñuel aurait pu faire une pièce dans le nouveau siècle, avec des femmes, dans un autre lieu, mais avec ses obsessions de toujours.


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Le rythme semble être un élément majeur, tant au niveau chorégraphique, scénographique, que narratif. Le battement des tambours chers à Luis Buñuel, le flot des mots scandés à des intensités variées, le tempo de votre gestuelle tour à tour fluide ou saccadée…


Je me suis rendu à Calanda il y a quelques années, ainsi qu’à Andorra à côté de Calanda, et à Alcañiz, d’autres villes importantes du Bajo Aragón où le tambour occupe une place importante dans le folklore. Je me souviens de sensations uniques. Des gens très proches les uns des autres – ce qui est difficile à imaginer en temps de pandémie – sont unis afin de faire résonner un tambour avec une grande force. Ils ont souhaité ce moment pendant toute une année et frappent avec ardeur en sachant que c’est une tradition qui leur appartient, qu’elle s’est transmise de génération en génération et qu’elle se pare aujourd’hui d’une valeur mystique et presque religieuse. Le rythme dans ma pièce est très important, celui des voix, des danses, des séquences. Le rythme dans les films de Luis Buñuel est irrégulier et manque de logique, il obéit à des instincts et à des forces irrationnelles typiques du surréalisme. Il est magnifique de hisser les tambours sur scène, de les mettre en lumière, de les ramener au présent, de crier avec eux. Pour ce qui est du travail corporel, il emprunte deux directions: un côté est sauvage et tenace, l’autre est décousu, fragmenté, proche du cubisme. Il obéit à une logique mentale et à une approche instinctive. Le groupe dans sa quasi-totalité est présenté comme une « horde », un collectif, un bataillon uni. Nous avons travaillé à la composition de tableaux vivants, chargés de colère, où l’ironie a une place importante, cachée ou soulignée. Cela fait aussi référence à Luis Buñuel. L’objectif n’était pas de faire un travail sur lui, mais de travailler pour lui. La Veronal a toujours œuvré à rassembler différentes images, situations, énergies, autour d’un thème, plus pour en dessiner une vision, un point de vue, une représentation. Nous avons voulu que la structure de Sonoma s’articule, plus encore que dans d’autres créations, autour de l’idée de tableaux et qu’ils apparaissent aussi flottants que possible : cela rappelle précisément le schéma du rêve, avec ses espaces vides, ses sauts, ses incongruités, son absence d’économie narrative, son jeu d’intensités et d’éclairages plutôt surréaliste. Cela peut faire penser à la manière dont s’exprime une production cinématographique. Nous avons également voulu qu’il y ait dans le spectacle plusieurs lignes de progression – ou plutôt de métamorphoses : par exemple, de la croix au tambour ; du catholicisme à la révolution ; du Christ à Dionysos ; de la parole à la voix, au corps, au corps du son pur et explosif des tambours de Calanda, à la peau. À la peau sous la peau.

 


Qu’apporte le mélange de toutes ces sources d’inspiration ?


On pourrait dire que rien n’est plus vrai que le folklore qui a une signification religieuse, mais religieuse à la manière paysanne. Luis Buñuel était passionné par le folklore aragonais car dans la sécheresse de son paysage, dans ses fêtes, ses vêtements, ses danses et ses superstitions, il savait y reconnaître une sorte de proximité avec l’avant-garde. Les éléments de la tradition sont comme des énigmes qui attendent toujours d’être déchiffrées, qui en font une incroyable allégorie du « Nous ». Nous considérons habituellement la tradition comme une lignée, et c’est sous le signe de la continuité que nous la concevons et que nous l’aimons. Mais c’est selon des modèles de discontinuité qu’elle est présentée ici : ses objets, ses signes cessent d’appartenir à un ordre et commencent à flotter comme de nouvelles entités, proches d’un langage qui s’adresse à nous aujourd’hui, au XXIe siècle. Nous avons voulu que Sonoma parle de cette forme d’intemporalité, qui fait coïncider les images les plus rurales et telluriques avec un moment de liberté très actuel et encore inassouvi.

 

Propos recueillis par Malika Baaziz pour le Festival d’Avignon  
en février 2021

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