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Festival de Marseille

"Je ne suis plus en apnée covid-19"

Michael Disanka

Considéré comme une des voix congolaises les plus inspirantes du moment, le comédien, metteur en scène et auteur dramatique Michael Disanka s’est imposé comme le chroniqueur de sa génération.


La première française de Sept mouvements Congo était au programme de l’édition 2020 du Festival que nous avons été contraints d’annuler.

 

 

Notre planète a été fortement secouée par la pandémie du coronavirus qui nous a tous pris par surprise. Toutes les activités de la vie ont été mises entre parenthèses. Je n’ai pas pu échapper à cela. Moi, artiste vivant et travaillant à Kinshasa avec tout ce que cette position colporte : oui, c’est très pesant que d’être artiste ici, c’est-à-dire, porteur des sens nouveaux dans un territoire comme le nôtre, qui a connu le monde dans sa face la plus sombre, avec tout ce qui en découle… pas besoin de le répéter ici.


Sous covid-19 la vie à Kinshasa était encore plus incertaine. La débrouillardise habituelle avait trouvé un peu de répit mais, Kinshasa ne peut s'arrêter ne serait-ce qu'un seul instant ; sinon, c'est la mort de la vie. L'urgence de la survie quotidienne a zappé la covid-19 et son lot de contraintes qu’elle trimballe qui font montre de la précarité de l’existence humaine peu importe l’endroit cartographique où elle se développe. J'ai trouvé beau la vie dans sa vulnérabilité la plus complète. Et sur ce point, les Kinois ont une belle avance sur le monde. Parce que vivre ici, c’est se réveiller chaque matin, traverser le néant pour habiter le vide, puis dormir en contemplant son manque avec émerveillement, se réveiller le lendemain, satisfait d’avoir survécu, sourire et recommencer cette traversée. C’est fou mais c’est cela qui a fait que lorsque le monde s'est isolé du monde, Kinshasa s'est ouverte à elle-même. Les prédictions des prophètes du malheur ont brûlé sous la chaleur de la ville, et le rire toujours vivant des Kinois qui nargue le monde. On voyait défiler dans les médias des images macabres dues à cette catastrophe qui n'ont mis en évidence que la vulnérabilité de notre monde actuel qui s'était reconstitué en petits mondes clos.


Pendant cette période d'enfermement j'ai fait de l'incertitude ma boussole et elle m'a guidé vers moi-même. Quand ma perspective intérieure n'avait plus de reliefs, j'ai été sauvé par l'amour et l'intérêt que m'ont porté mes amis/amies éparpillés dans ces-petits-nouveaux-mondes. N'espéraient-ils/elles pas simplement que nous retrouvions nos ailes afin de maintenir un pont humain entre ces mondes ?
Moi terrien, je brûle de chaleur et parfois j'ai besoin d'un peu de froid pour rester humain. Moi, terrien du sud, j’ai parfois le devoir d’apporter un petit bout de chaleur pour réchauffer l’humain d’ailleurs. Moi, terrien convaincu, je suis d’ici et de partout. Artiste vivant à Kinshasa oui, mais, humain avant tout. Je me sens en posture d’un pont entre la folie et la raison, entre le matriarcat et le patriarcat, entre la verticalité et l’horizontalité, entre les cultures de mes parents et les cultures contemporaines : je me sens humain en quête d’équilibre simplement. C'est pour trouver cet équilibre que je suis artiste. Le but premier de mes actes artistiques est de rendre mes contemporains et surtout moi-même encore un peu plus humain. C'est pour cela que je cherche à reprendre des ailes de la liberté gravement entamées par la covid-19 afin de continuer mon petit parcours vers l'humain. Faudrait- il pour cela déjouer les nouvelles frontières qui se sont ajoutées à celles qui existaient afin d’apporter au monde ce bout de Kinshasa que je suis ?


Le monde, ou plutôt mon monde, tourne autour de Kinshasa. Quand je quitte Kinshasa c'est toujours vers elle que je vais. Je ne change jamais d'heure sur ma montre peu importe les injonctions du fuseau horaire, peu importe dans quelle partie du globe je suis. Que je me pose à Gand ou à Lubumbashi, à Ouagadougou ou à Harare, à Marseille ou à Kisangani, ma destination finale c'est toujours Kinshasa. Je me dois de me rappeler d'où je suis, constamment. Je suis de Kinshasa, ville qui m'a vu naître, qui a survécu à la catastrophe humaine, où chaque soleil qui se lève est symbole de résurrection de plus de 15 millions d’âmes en quête de survie. Cette ville magique a épousé toutes les dictatures possibles et y a survécu. Je me confie à elle, elle s'offre à moi et je me confonds avec elle : Kinshasa m'habite.


Moi qui suis devenu un Kinshasa ambulant, bruissant et vrombissant, j’ai décidé d'essayer de nommer mes inquiétudes et angoisses afin que tout sorte et que rien ne me submerge. Sans doute, à cause du flou mondial qui continue à planer sur notre secteur, je nomme donc ma peur, espoir ; mon battement de cœur, musique de la vie ; ma mort, vie au-delà du souffle. Je refuse de mettre ma vie entre parenthèses. Je la vois au-delà de mes incertitudes. Mon acte artistique me sauve de cette incertitude, boussole qui me conduit à la dérive quand je cherche à aller ailleurs que vers moi-même. J’apprends petit à petit, comme tous mes contemporains, à vivre avec : l’incertitude et tous les fantômes que la covid-19 trimballe. Mais je sais que maintenant que j’ai repris ma respiration, peu à peu je retrouve aussi la joie de vivre au-delà  des espérances ; parce que je ne suis plus sous apnée-covid-19.


Je ne suis plus sous apnée-covid-19
Kinshasa, le 06 octobre 2020
Michael Disanka