Accepter que la vie ne soit qu’un effacement est la plus belle leçon que je reçois de la danse.
S’attarder sur l’état de grâce, se souvenir jusqu’au dernier souffle desmerveilles révélées à mes yeux au long de milliers d’heures en présence de la danse, et, faute de pouvoir retenir le geste, clore mes paupières pour en contenir la trace. Ces merveilles ? Des femmes, des hommes, danseuses etdanseurs, que mon état de chorégraphe m’aura offert de voir éclore à leur talent, à leur transfiguration. Une croyance divinement athée en l’humain m’invite à l’aimer éperdument pour cette aptitude au sublime.
Dans ma quête d’une grâce animée qui ne soit ni évanescence, ni désuétude,ni affectation, un accroc s’impose dans une funeste coïncidence...
Quand certains dansent d’autres tuent.
Au matin de la Première de La Barbe bleue -pour moi une femme séduisante portée par les spectres de six époux assassinés vers celui qui sera son septième et dernier- je communiquais la création ainsi : la naissance d’un monstre sanguinaire marque ce jour.
Ce jour ? Le 13 novembre 2015.
Nul n’a oublié ce qu’il faisait ce soir-là, des millions de souvenirs gravéspar l’effroi des attentats de Paris : nous, nous sortions de scène, heureux...Confusion des émotions. Alors qu’à Aix-en-Provence se déroule le dramefictionnel d’une cruauté jalouse parée de grâce et de beauté, à Paris, 130 personnes perdent la vie, ainsi que sept assaillants persuadés que ce gestetragique, d’un dieu leur apporte... la grâce.
L’atteinte collatérale, dérisoire au regard de l’Histoire, demeure marquée d’une encre indélébile : elle entretient une fusion envahissante d’émotions contradictoires intenses, des entrelacs indissociables d’éclats de lumière et d’éclats d’acier.
Derrière la beauté peut se tapir l’horreur, derrière l’horreur, l’hypothèse d’un paradis...