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Festival de Marseille

Note de la compagnie

 

Le travail de Seppe Baeyens se meut sur la frontière entre le théâtre et la danse ou sur ce que l’on considère traditionnellement comme tel. Il fait de cette frontière un espace fertile de recherche artistique pour une expérience sociologique basée sur le lien. « Hors les murs du théâtre, il existe tout un univers qui n’a pas encore accès à la danse et au théâtre », dit le chorégraphe. Par cette citation, il synthétise l’essence de son travail.


Après Tornar (2015) et INVITED (2018), Seppe Baeyens poursuit avec Birds (2021) sa recherche sur la possibilité de former une communauté temporaire. Pour ce nouveau spectacle, il s’at-taque à la séparation entre le théâtre et la réalité. À cette fin, il quitte le théâtre pour occuper l’espace public. Birds veut transformer de simples passants en spectateurs de et en participants à une chorégraphie sociale, même s’ils n’en voient pas la globalité.


Le point de départ n’est pas l’espace théâtral, mais l’espace quotidien : « Je vais organiser l’espace public comme un espace dramatique, sans que celui-ci ne perde son accessibilité. Ce qui m’intéresse, c’est le jeu qui va se déployer entre le simple passant, le performeur et le public du théâtre. »


Seppe Baeyens fait partie d’une nouvelle génération d’artistes de spectacle vivant qui, au début du 21e siècle, prenant conscience de la diversification et de la mondialisation de la société, ont cherché de nouveaux fondements à leur travail artistique et les ont trouvés dans une vision de l’art inclusive, démocratique et solidaire. Il travaille avec une équipe diversifiée et intergénérationnelle de performeur.euse.s. Il est à la recherche de nouvelles méthodes de travail artistique, couvrant de longues périodes et basées sur la cocréation avec les participant.e.s. Ses spectacles portent moins sur l’expression individuelle, le mouvement symétrique ou la chorégraphie harmonique, que sur le lien honnête et authentique entre les danseur.euse.s pendant le spectacle. La musique en direct et la scénographie accompagnent et renforcent celui-ci.


Dans son dernier projet, Birds, Seppe Baeyens veut également élargir et diversifier le processus de création même. Il a demandé à Martha Balthazar et Yassin Mrabtifi de créer avec lui le spectacle et de l’accompagner. L’engagement ultime du travail de Baeyens est l’exploration et la création, pour notre époque, de rituels collectifs qui définissent de la façon la plus étroite les idées de communauté et de rituel.


Seppe Baeyens : « J’ai demandé à Martha Balthazar et Yassin Mrabtifi de co-créer Birds. Jusqu’à présent, j’appliquais surtout mes idées sur la participation intergénérationnelle et interculturelle aux participant.e.s et au public de mes spectacles. J’étends maintenant cette ligne au processus de création même. Yassin Mrabtifi est un danseur et chorégraphe originaire de Molenbeek, qui a grandi dans la culture hip-hop. Il a une expérience très personnelle de l’espace public. Il a appris à danser dans des gares et a beaucoup d’expérience dans l’improvisation et la communication directe avec le public. Cela s’inscrit parfaitement dans la dimension publique de Birds. Martha Balthazar a été fascinée par Invited et a effectué un stage pendant la phase de recherche de Birds. Elle est étudiante en master de théâtre au KASK à Gand. Dans son travail, elle se concentre sur le théâtre en tant que cadre pour mettre en place des rencontres invisibles et inattendues. Elle veut créer des espaces où le jeu et l’écriture sont utilisés comme des outils pour brouiller la réalité et où la fiction flirte toujours avec la vérité. J’ai le sentiment qu’ils peuvent donner des impulsions nouvelles et inattendues au projet. Cet esprit de dialogue se reflétera dans le spectacle. Je trouve que c’est passionnant. Pour moi aussi, la co-création est quelque chose de nouveau. Nous allons travailler avec toutes les combinaisons : à trois, en duo ou seuls. En tant qu’acteur.ice.s, nous nous relayerons tout au long de la tournée, ce qui rendra les spectacles à chaque fois différents. »

 


Infiltration
 

L’art est l’endroit idéal pour aborder la différence, l’étranger et l’autre de manière non agressive. Ce n’est pas un hasard si une publication récente sur l’art et l’espace public s’intitule Interrupting the City. Artistic Constitutions of the Public Sphere. En interrompant le cours normal de la vie urbaine, l’artiste crée un moment public ; un moment de surprise, d’imagination et d’irréalité. On ne s’adresse plus aux participant.e.s dans un rapport hiérarchique, ils ont la possibilité d’exprimer leur créativité, leur art et leur indépendance. Pendant un temps, le cours normal des choses est interrompu et on laisse le champ libre à l’imagination. Comme pour ses spectacles précédents, le processus créatif consiste en une recherche intense - étalée sur deux ans - dans différentes villes et dans différents lieux publics. Ces lieux, marqués par des coïncidences et des contingences qui leur sont propres, deviennent le terrain d’essai des différentes parties du spectacle. L’accent est à nouveau mis sur la communauté temporaire, le lien et la cocréation, mais cette fois dans l’espace public.

 

L’espace public a sa propre individualité et ses caractéristiques totalement différentes de l’espace fermé du théâtre. Donner un spectacle dans l’espace public et interagir avec les simples passant.e.s soulève une nouvelle série de questions : comment organiser l’espace public pour en faire un espace théâtral ou dramatique ? Quel est le rôle de l’interprète dans l’espace public ? Comment se développe la relation triangulaire entre le performeur.euse, le public et le passant.e ? Comment le passant.e devient-il public ? À quel moment le passant.e ou le public deviennent-ils des performeur.euse.s ? Quels codes théâtraux vais-je installer dans l’espace public ? Où se situe la frontière entre la chorégraphie orchestrée et la chorégraphie de la vie quotidienne ? Quelle est la différence entre la danse et les gestes quotidiens, les actions, les rituels, les flux et les mouvements de groupe ?


Dans Birds, Seppe Baeyens veut développer un langage commun avec l’espace public, avec le contexte de la place. Selon lui, la danse contemporaine dans l’espace public est souvent une « implantation » venant du haut, une intervention contraignante qui tient peu compte de l’espace et de son contexte. Avec sa performance sur la place, son but à lui est moins « d’intervenir » que « d’infiltrer ». Pour lui, infiltrer, c’est pénétrer l’espace avec des mouvements, des gestes et des objets qui y sont déjà. Cela signifie que l’infiltration est d’abord discrète et ne se manifeste que dans une phase ultérieure.

 


Le cours des choses
 

Der Lauf der Dinge est un film expérimental de 1987 par le duo d’artistes suisses Peter Fischli et David Weiss. Le film documente une longue chaîne d’objets quotidiens assemblés qui, comme des dominos, tombent et impulsent le mouvement de l’objet suivant. Baeyens fait référence à ce film pour le principe d’action/réaction : une première action provoque une réaction qui, à son tour, provoque une autre réaction et ainsi de suite. Ce qui intéresse Baeyens, c’est le lien qui s’établit entre des objets initialement complètement séparés. La composition des objets fait en sorte que certaines réactions sont tantôt physiques, tantôt chimiques.


Par ses performances dans l’espace public, Seppe Baeyens veut intensifier à certains moments le « cours des choses », les situations et les gestes quotidiens et les élever à un niveau plus soutenu. Il s’agit pour lui d’apporter le théâtral, subtilement et sans contrainte. L’aspect brusque et provocateur des « flash mobs », par exemple, ne l’intéresse pas. La démocratisation de l’espace est essentielle pour Seppe Baeyens : faire prendre conscience de l’espace comme un espace public appartenant à chacun.e, un lieu qui peut être partagé.


La proposition selon laquelle l’espace public devrait appartenir à chacun a beau paraître évidente, cette idée se heurte rapidement à certaines limites, selon Baeyens : « Ce qui me fascine, c’est la question de savoir à quel point l’espace public est ef- fectivement public. Actuellement, il faut demander l’autorisation de plusieurs instances avant de pouvoir faire quelque chose dans l’espace public. La sécurité et tout ce qui en découle sont devenus un facteur crucial. Quand on veut organiser certaines choses dans l’espace public, on est considéré comme un danger potentiel. Un jour, j’ai dit à un policier venu demander ce qui se passait qu’une « expérience de convivialité » était en cours. Car c’est bien là que se trouve l’essence de mon travail. »

 


Interaction
 

Il y a trois groupes de personnes : les participant.e.s, les spectateur.ice.s et les passant.e.s. Mais ces rôles ne sont pas figés. Les spectateur.ice.s peuvent de-venir participant.e.s. Les passant.e.s peuvent devenir spectateur.ice.s. Les passant.e.s sont, sans le savoir, des participant.e.s, mais peuvent aussi en devenir conscients pendant un plus ou moins long moment. Le passant.e peut faire un choix.

 

L’une des questions essentielles est de savoir comment créer une interaction avec les passant.e.s sans les forcer ni les brusquer. Baeyens : « D’après les expériences que j’ai menées jusqu’à présent, il est clair pour moi que l’établissement d’un contact visuel peut très bien fonctionner. Il semblerait y avoir un grand besoin de contacts. »


Le regard est au cœur de cette performance, mais il n’est pas question d’être exposé. Regarder et être regardé.e. Regarder les autres et être regardé.e par les autres sont peut-être les deux activités les plus humaines. Elles nous révèlent dans notre puissance (regarder) et dans notre vulnérabilité (être observé.e). Sur la base de cette interaction entre humain.e.s, Seppe Baeyens construit sa communauté temporaire. Ce n’est pas un hasard si le « cercle », avec ses nombreuses connotations et significations, est l’une des figures qu’il préfère utiliser, tant pour ses spectacles en salle que pour ses performances dans l’espace public.

 


L’art comme espace public
 

L’artiste devient un « réseauteur » ou un « travailleur public » qui crée de la « chose publique» - d’une manière très particulière (autonome !) qui lui est propre, où l’accent est moins mis sur le résultat final que sur le processus, l’engagement, le relationnel. En d’autres termes : l’artiste est un.e médiateur.ice qui rend possible le « devenir public ». Il crée une relation et un forum dans lesquels quelque chose apparaît. Il crée un espace d’expression, de participation et d’interaction. Henk Oosterling ne parle donc plus « d’art dans l’espace public », mais « d’art en tant qu’espace public ». Dans l’art en tant qu’espace public, le processus créatif et la participation de toutes les parties prenantes sont essentiels. L’artiste n’a pas pour but d’arriver à un produit final, mais considère comme son matériel la créativité et l’inventivité des riverain.e.s, par exemple, qui utilisent un espace public spécifique. L’artiste initie le processus créatif, mais ne sait pas encore quel en sera le résultat. Oosterling : « Il s’agit d’interventions basées sur la prise de conscience que l’art ne concerne plus un résultat final, mais le processus qui crée l’espace public. La chose publique en est la forme plate. Mais en tant qu’art, ce genre d’intervention rend les gens plus ouvert.e.s, impliqué.e.s et désintéressé.e.s dans leurs rapports. L’artiste agit comme un « réseauteur » : il provoque dans l’espace public des interactions qui seraient impossibles sans l’art. Là, l’art dépasse ses cadres institutionnels, et c’est la transition que nous observons depuis de nombreuses années : de l’art dans l’espace public à l’art en tant qu’espace public, d’un produit final dans un lieu physique à un processus « glocal ». »

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